Aïkido et Développement Psychomoteur (Conférence)

Aïkido et développement psychomoteur

L’activité psychomotrice de l’être humain se structure et se développe de la naissance à l’âge adulte selon des principes d’organisation innés communs à tous. Ces principes dynamiques articulent entre eux la motricité immature du bébé et son psychisme naissant, afin de créer son identité psychomotrice.

L’aïkido présente l’intérêt de s’appuyer, dans ses techniques et dans sa démarche globale, sur ces mêmes principes de base.

Ce qui me permet de considérer l’aïkido comme une pratique psychomotrice qui soutient et relance le développement de l’enfant et de l’adulte.

Suzanne Robert-Ouvray, Docteur en psychologie, Psychothérapeute.

Au cours de cet exposé, l’aïkido était montré par Serge Amoruso et quelques membres du club.

Vendredi 9 Février 1996 à 20h30, Espace Médicis, 12, rue du Cadran, Charenton, Entrée libre

Résumé

Aïkido et développement psychomoteur.

Les recherches concernant la psychomotricité du bébé nous montrent que le psychisme de l’enfant se développe et s’organise en même temps que sa motricité. Ce développement ne se fait pas dans un parallélisme de maturation et de fonctions mais dans une articulation entre processus physiologiques et relationnels. C’est sur l’organisation motrice du bébé que le psychisme se modélise, mais c’est dans les interactions qu’il s’actualise et se singularise.

A la naissance, le système nerveux du bébé n’est pas mature : les centres nerveux n’ont pas terminé leur croissance et la motricité en est la première concernée. Le tonus musculaire qui règle les actions motrices est inégalement réparti dans le corps de l’enfant : une hypertonicité des fléchisseurs le contraint à tenir ses bras et ses jambes repliés sur le tronc, et une hypotonicité des muscles du dos l’empêche de se redresser. La conjugaison de ces deux tonicités entraîne l’enfant dans un enroulement qui est la positon foetale.

Au fur et à mesure de sa croissance, l’enfant va se redresser : la tonicité des membres diminue et celle du dos augmente. Vers l’âge de 6 mois, le bébé pourra se redresser, s’asseoir et se tenir dans une position verticale sans le soutien de sa mère. Toute cette progression s’organise dans une symétrie par rapport à l’axe vertébral et dans un continuel aller-retour entre le centre du corps et sa périphérie. La maturation neurologique relève exclusivement de la bonne santé de l’appareil nerveux , mais les conditions dans lesquelles elle se déroule sont dépendantes des relations que l’enfant entretient avec son entourage.

En effet, la tonicité est le vecteur des échanges émotionnels entre le bébé et sa mère (au sens large de la personne qui s’occupe du bébé). Les mouvements, les mimiques émotionnelles, les pleurs ou les babillages du bébé sont soutendus par des actions motrices qui elles-mêmes dépendent des variations toniques. Lorsqu’un bébé pleure de faim, il augmente la tension de ses muscles d’une manière réflexe. La satisfaction de son besoin nécessite l’intervention de la mère. En répondant à l’appel de son bébé, en le portant dans ses bras, en le nourrissant, la mère calme son enfant et participe à la baisse de la tonicité des muscles. La mère accompagne ainsi la diminution de l’hypertonicité naturelle des membres. En le reconnaissant dans son besoin et en le portant, elle participe au redressement futur de l’enfant et à son autonomie. Les échanges toniques et émotionnels qui existent dans la rencontre entre le bébé et sa mère sont les conditions nécessaires à l’intégration des expériences motrices.

Cette intégration, à la fois neurologique et relationnelle permet à l’enfant de donner un sens à ce qu’il vit dans son corps. Les humains ne sont plus dans une motricité de survie et de procréation comme les animaux. Leur motricité est un outil de communication, de symbolisation, d’échanges et un élément fondamental dans la création des liens psychocorporels.

L’organisation motrice du bébé, dépendante de l’évolution phylogénétique de l’homme et de la maturation nerveuse offre au psychisme de l’enfant un appui de structuration. Si l’enfant naît avec des lésions cérébrales qui perturbent sa motricité, toute son organisation psychique en pâtira. Les échanges émotionnels pourront être présents car ceux-ci ne dépendent pas des mêmes centres nerveux. Mais la structuration de l’espace psychique souffrira de ces altérations relationnelles précoces.

L’étude approfondie de l’organisation motrice et tonique du bébé met en valeur des axes de structuration qui sont indispensables à son bon développement psychomoteur :

l’enroulement du corps sur lui-même et la capacité de concentration étayent la préoccupation narcissique de soi.

la prise en compte fondamentale de l’axe de la colonne vertébrale comme organisateur de l’espace intérieur et extérieur favorise l’intégration de la symétrie entre individus.

et enfin la coordination des parties du corps entre elles dans une globalité prépare à une régulation harmonieuse des éléments intrasubjectifs et des éléments intersubjectifs.

En fonction de la qualité des interactions entre le bébé et son environnement, ces trois organisateurs psychomoteurs favoriseront la cohérence et la cohésion psychocorporelle.

Ces trois principes fondateurs de la psychomotricité de l’être humain se retrouvent d’une fa ;on remarquable dans la pratique de l’aïkido. Aussi, sous formes d’analogies, je vais décrire les liens qui existent entre l’organisation de la psychomotricité du bébé et les principes de base de la pratique de l’aïkido.

L’idée fondamentale de l’aïkido est le maintien d’un équilibre, d’une harmonie entre soi et l’environnement.

Le maintien de cette harmonie exige que l’attaque de l’adversaire soit évitée puis déviée.

Les trois axes sur lesquels s’appuie le sujet pour maintenir cette équilibration sont :

la centration sur soi : le sujet est enraciné , solide sur ses pieds et dans son centre (hara) ; cette nécessité correspond à l’établissement fondamental d’une base de sécurité chez le bébé. Base procurée à la fois par le versant moteur et le versant relationnel : par l’enroulement sur soi dû à l’immaturité neurologique et par les relations sécurisantes avec la mère.

Des techniques comme ryo katatedori ikyo, ushiro ryote dori sankyo, tsuki kotegashi, montrent comment tori manipule le centre de uké pour le déstabiliser puis le dominer tout en récupérant son propre centre. Le travail se fait toujours devant soi et il est lié à la respiration.

l’axialité dans le mouvement : tori ne reste pas dans l’axe de uké. C’est la première condition de survie. Les positions observées dans iriminage sur yokomen, soto kaiten nage et tenchi nage (par exemple) permettent de comprendre comment le désaxage de l’adversaire par rapport à soi permet la prise de son bassin. Il s’agit de sortir de l’axe de l’adversaire tout en restant en relation avec lui.

Au niveau du développement psychomoteur, nous retrouvons cette dynamique structurante : l’enfant se construit lui-même dans une symétrie corporelle mais avec un projet de différenciation de la droite et de la gauche, du haut et du bas. Il se construit également dans un mouvement symétrique avec sa mère : symétrie du regard, mimétisme. Mais le but de son développement est de sortir de cet axe commun et de construire sa propre personnalité, sinon il n’existe pas comme sujet et meurt psychiquement dans la psychose.

la coordination : l’idée de base est de ne jamais s’opposer au mouvement de l’autre, mais de faire avec le mouvement qu’il propose. C’est une coordination orchestrée de réponses corporelles non réactives à des assauts violents. Le fait de ne pas donner de réponses hyperénergiques mais d’accompagner le geste d’autrui permet de laisser l’autre dans la croyance de son mouvement. Uké devient un satellite de tori. Il y a un ajustement incessant entre les mouvements de tori et ceux de uké. Il s’agit de rester libre malgré la prise.

Au niveau psychomoteur, en même temps que se coordonnent toutes les parties du corps du bébé entre elles, grâce à la maturation nerveuse, la mère s’ajuste à son enfant. Elle met en paroles ce qu’elle croit reconnaître dans les mouvements et les pleurs de son enfant. Elle répond corporellement et s’adapte aux variations toniques de son enfant.

Le pratiquant d’aïkido et le bébé sont dans une même dynamique : il faut que l’autre leur permette de se dégager pour poursuivre le mouvement de vie, sinon rien n’est possible. Uké, qui subit, accepte le mouvement de tori pour ne pas se casser et pour retrouver une chance de récupérer son propre centre.

Il ne doit y avoir ni blocage, ce qui serait stérile, ni abandon, ce qui serait inutile, mais une coconstruction et une possibilité de faire ressentir à l’autre quelque chose de son propre ressenti.

Tout travail corporel étaye une dynamique psychique pourvu qu’il respecte les trois règles destructuration psychomotrice : la centration, l’axialité et la coordination.

Dans cette optique l’aïkido a une valeur curative et une valeur de développement.

Suzanne Robert-Ouvray